Article modifié le 20 mars 2025
La maternité est un événement majeur dans la vie d’une femme, mais elle ne devrait jamais être source d’insécurité professionnelle. C’est pourquoi le législateur a progressivement mis en place un dispositif de protection spécifique pour les salariées enceintes, afin de garantir leur emploi pendant cette période particulière.
En tant qu’experte-comptable en Essonne accompagnant quotidiennement des entreprises dans leur gestion sociale, je constate encore trop souvent des situations où les droits des femmes enceintes sont méconnus, tant par les employeurs que par les salariées elles-mêmes. Cette méconnaissance est parfois source de conflits qui pourraient être évités.
Les récentes évolutions législatives, notamment la loi du 7 juillet 2023 et la jurisprudence de 2024, ont considérablement renforcé cette protection, en l’étendant notamment aux situations de fausses couches tardives. Il est donc essentiel, pour les employeurs comme pour les salariées, de bien comprendre ce cadre juridique qui ne cesse d’évoluer.
Le cadre légal de la protection des salariées enceintes
1. Principes fondamentaux
Le Code du travail, en son article L.1225-4, pose un principe fondamental : une salariée ne peut être licenciée pendant sa grossesse et son congé maternité, sauf dans des circonstances très précises que nous détaillerons plus loin. Cette disposition s’inscrit dans la lutte contre les discriminations fondées sur le sexe et la situation familiale, inscrites aux articles L.1132-1 et suivants du Code du travail.
Ce dispositif de protection se décompose en deux périodes distinctes, avec des niveaux de protection différents :
- Une protection absolue pendant la grossesse et le congé maternité
- Une protection relative pendant les 10 semaines suivant la fin du congé maternité
2. Protection absolue
La période de protection absolue commence dès que la salariée informe son employeur de son état de grossesse, par lettre recommandée avec accusé de réception ou en lui remettant un certificat médical attestant de sa grossesse. Cette information n’est soumise à aucun délai légal, mais elle est nécessaire pour déclencher la protection.
Pendant toute la durée de la grossesse et du congé maternité, l’employeur ne peut rompre le contrat de travail de la salariée, sauf dans deux cas exceptionnels que nous verrons dans la partie III. Cette interdiction concerne tous les modes de rupture à l’initiative de l’employeur : licenciement, mais aussi rupture conventionnelle ou période d’essai.
3. Protection relative
À l’issue du congé maternité commence une période de protection relative qui s’étend sur 10 semaines. Durant cette période, le licenciement devient possible, mais uniquement sous deux conditions strictes :
- Il doit être justifié par une faute grave non liée à la grossesse
- Ou par l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse
Cette période de 10 semaines a été spécifiquement conçue pour protéger la salariée lors de son retour à l’emploi, phase souvent délicate après plusieurs mois d’absence.
Exceptions permettant le licenciement d’une salariée enceinte
1. La faute grave non liée à la grossesse
La faute grave est définie par la jurisprudence comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
Pour qu’un licenciement pour faute grave soit valable pendant la période de protection, l’employeur doit démontrer deux éléments :
- L’existence d’une véritable faute grave (vol, violence, abandon de poste injustifié, etc.), à l’exclusion de l’insuffisance professionnelle, qui ne constitue pas un motif de licenciement pendant la grossesse (Cass. soc., 9 juillet 2021, n°20-13.671)
- L’absence de lien entre cette faute et l’état de grossesse
À titre d’exemple, la Cour de cassation a validé le licenciement pour faute grave d’une salariée enceinte qui avait détourné des fonds de l’entreprise (Cass. soc., 19 novembre 2020, n°19-11.124). En revanche, elle a annulé celui d’une salariée licenciée pour insuffisance professionnelle pendant sa grossesse, considérant que ce motif ne constituait pas une faute grave (Cass. soc., 9 juillet 2021, n°20-13.671).
2. L’impossibilité de maintenir le contrat
Le second cas permettant le licenciement concerne l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse. Cela peut recouvrir :
- La cessation définitive d’activité de l’entreprise
- La suppression du poste dans le cadre d’une réorganisation économique indispensable, c’est-à-dire un licenciement pour motif économique.
- La suppression du poste dans le cadre d’une réorganisation économique indispensable
Dans ce cas, l’employeur doit apporter la preuve que :
- La décision de fermeture ou de réorganisation est antérieure à l’annonce de la grossesse
- La suppression du poste n’est pas liée à l’état de grossesse
- Il existe une véritable impossibilité de reclassement
La jurisprudence est particulièrement stricte sur ces points. J’ai observé plusieurs situations où le licenciement économique d’une salariée enceinte a été invalidé car l’employeur n’avait pas suffisamment démontré l’impossibilité de reclassement, même dans une petite structure.
Obligations de la salariée envers l’employeur
Si la loi protège fortement les salariées enceintes, elle ne les dispense pas de respecter leurs obligations contractuelles.
L’annonce de la grossesse
La salariée n’est pas tenue d’informer son employeur de sa grossesse à un moment précis. Cependant, pour bénéficier des protections légales, elle doit procéder à cette information par écrit, idéalement par lettre recommandée avec accusé de réception, accompagnée d’un certificat médical.
Je recommande généralement aux salariées d’informer leur employeur dès que leur grossesse est confirmée médicalement, car certains droits spécifiques s’appliquent dès le début de la grossesse, comme les autorisations d’absence pour examens médicaux. Ces droits peuvent varier selon les dispositions conventionnelles applicables à votre secteur. Par exemple, la convention collective des experts-comptables prévoit des règles spécifiques en matière de congé maternité et de protection des salariées. Découvrez-en le détail dans notre article dédié.
Respect des obligations professionnelles
La salariée enceinte reste tenue de respecter ses obligations professionnelles :
- Exécution de ses missions conformément à son contrat de travail
- Respect du règlement intérieur et des consignes de sécurité
- Obligation de loyauté envers l’employeur
Un manquement grave à ces obligations peut justifier un licenciement, même pendant la période de protection, s’il constitue une faute grave non liée à l’état de grossesse. De même, le non-paiement du salaire peut conduire la salariée à une prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
Que se passe-t-il si une salariée enceinte est licenciée ?
Nullité du licenciement et ses conséquences
Un licenciement prononcé en violation des dispositions protectrices est frappé de nullité. Concrètement, cela signifie que :
- La salariée peut demander sa réintégration dans l’entreprise, avec maintien de tous ses avantages acquis
- Si elle ne souhaite pas être réintégrée, elle peut prétendre à des indemnités majorées :
- Indemnité compensatrice de préavis
- Indemnité légale ou conventionnelle de licenciement
- Dommages et intérêts pour licenciement nul (au minimum 6 mois de salaire)
- Éventuellement des dommages et intérêts pour préjudice moral
C’est un point que je souligne systématiquement auprès des employeurs : un licenciement irrégulier d’une salariée enceinte peut avoir des conséquences financières très lourdes pour l’entreprise.
Recours devant le Conseil des prud’hommes
La salariée dispose d’un délai de prescription de 12 mois à compter de la notification du licenciement pour saisir le Conseil des prud’hommes (article L.1471-1 du Code du travail).
Lors de cette procédure, l’employeur devra démontrer que le licenciement est justifié par l’un des motifs autorisés par la loi. À défaut, le licenciement sera annulé avec toutes les conséquences évoquées précédemment.
Un arrêt marquant de février 2024 a d’ailleurs renforcé cette protection en précisant que même un licenciement prononcé sans connaissance de l’état de grossesse par l’employeur peut être annulé si la salariée informe de sa grossesse dans les 15 jours suivant la notification du licenciement (Cass. soc., 7 février 2024, n°22-17.304).
Évolutions récentes et perspectives
1. Protection des salariées victimes de fausses couches tardives
La loi du 7 juillet 2023 a marqué une avancée importante en étendant certaines protections aux femmes victimes de fausses couches tardives. Désormais, les salariées qui subissent une interruption de grossesse après 14 semaines d’aménorrhée bénéficient :
- D’un congé de 10 semaines minimum
- De la même protection contre le licenciement qu’après un congé maternité
Cette évolution était attendue depuis longtemps, car elle reconnaît la réalité traumatique de ces situations qui concernent environ 2 000 femmes chaque année en France.
2. Jurisprudence 2024 sur la nullité du licenciement
Plusieurs arrêts récents ont renforcé la protection des salariées enceintes :
- L’arrêt de la Cour de cassation du 7 février 2024 (n°22-17.304) a précisé que même si l’employeur n’a pas connaissance de l’état de grossesse au moment du licenciement, celui-ci peut être annulé si la salariée l’en informe dans les 15 jours suivant la notification.
- Un arrêt du 21 mars 2024 (n°23-10.763) a rappelé que la protection s’applique également en cas de procédure de licenciement déjà engagée avant l’annonce de la grossesse, dès lors que le licenciement n’a pas encore été notifié.
Ces décisions témoignent d’une volonté constante du juge de renforcer la protection des salariées enceintes, en interprétant strictement les exceptions permettant le licenciement.
3. Réformes potentielles à venir
Plusieurs propositions de loi actuellement en discussion (non encore votées) visent à :
- Étendre la période de protection relative de 10 à 16 semaines après le congé maternité
- Renforcer les sanctions en cas de discrimination liée à la maternité
- Améliorer les dispositifs d’accompagnement au retour à l’emploi après un congé maternité
Ces évolutions potentielles s’inscrivent dans une tendance de fond visant à mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, tout en luttant contre les discriminations dont les femmes peuvent encore être victimes en raison de leur maternité.
Cas pratiques et conseils aux employeurs
Bonnes pratiques pour éviter les contentieux
Pour les employeurs, la meilleure approche consiste à :
- Anticiper et planifier : Dès l’annonce de la grossesse, préparer l’organisation du travail pendant l’absence et prévoir les modalités du retour
- Documenter toutes les décisions : En cas de sanction disciplinaire ou de réorganisation pendant la période de protection, constituer un dossier solide démontrant l’absence de lien avec la grossesse
- Maintenir un dialogue constructif : Prévoir des entretiens avant le départ en congé maternité et avant le retour pour faciliter la transition. Il est également important de clarifier le pouvoir disciplinaire de l’employeur lors de la reprise du travail après une absence prolongée.
- Former les managers au cadre légal de la protection de la maternité pour éviter les erreurs de gestion
Certaines entreprises formalisent un « parcours maternité », qui permet de sécuriser les étapes clés et de garantir le respect des droits de la salariée tout en préservant les intérêts de l’entreprise.
Accompagnement des salariées durant la maternité et retour à l’emploi
Le retour à l’emploi après un congé maternité est une période charnière qui mérite une attention particulière :
- Entretien de reprise : Au-delà de l’obligation légale, c’est l’occasion de faire le point sur les évolutions intervenues pendant l’absence
- Aménagements éventuels : Temps partiel temporaire, télétravail, adaptation des horaires peuvent faciliter la reprise
- Formation de mise à niveau si nécessaire, pour permettre à la salariée de retrouver rapidement ses marques
L’un de mes clients a mis en place un système de « parrainage » où une collègue reste en contact avec la salariée en congé maternité pour la tenir informée des évolutions de l’entreprise. Cette initiative a considérablement facilité les retours de congé maternité et réduit le sentiment d’isolement.
Ce qu’il faut retenir
Points clés pour les salariées et les employeurs
Pour les salariées :
- Informez votre employeur de votre grossesse par écrit dès que possible
- Conservez toutes les preuves de cette information (accusé de réception, etc.)
- En cas de licenciement pendant la période de protection, contestez-le dans les 15 jours
- Maintenez un dialogue constructif avec votre employeur pour préparer votre retour
Pour les employeurs :
- La protection contre le licenciement est absolue pendant la grossesse et le congé maternité, sauf faute grave ou impossibilité de maintenir le contrat
- Elle se poursuit de façon relative pendant 10 semaines après le congé
- Tout licenciement prononcé en violation de ces règles est nul et expose à de lourdes sanctions financières
- Anticipez et planifiez les congés maternité pour limiter leur impact sur l’organisation
L’importance de bien anticiper la gestion du congé maternité en entreprise
La maternité ne devrait jamais être perçue comme une contrainte pour l’entreprise, mais comme un événement de vie normal qui s’inscrit dans la carrière professionnelle des femmes. Une bonne gestion du congé maternité repose sur trois piliers essentiels :
- La connaissance précise du cadre légal, tant par l’employeur que par la salariée
- Une communication transparente et régulière entre les parties
- Une anticipation des besoins organisationnels liés à l’absence
En tant qu’experte-comptable, j’observe que les entreprises qui gèrent le mieux ces situations sont celles qui ont formalisé leurs processus et qui considèrent le congé maternité non comme une perturbation, mais comme une opportunité de repenser temporairement l’organisation du travail.
La protection des salariées enceintes n’est pas seulement une obligation légale, c’est aussi un enjeu de responsabilité sociale pour les entreprises qui souhaitent attirer et fidéliser les talents féminins. Dans un contexte où l’égalité professionnelle devient un critère de choix pour les candidats, une politique favorable à la parentalité constitue un véritable avantage concurrentiel.
En résumé, la législation française offre un cadre protecteur solide pour les salariées enceintes, qui ne cesse de se renforcer au fil des évolutions législatives et jurisprudentielles. Connaître ces règles permet aux employeurs comme aux salariées d’aborder cette période sereinement, en évitant les contentieux coûteux et préjudiciables pour toutes les parties.