En entreprise, les arrêts maladie soulèvent souvent bien des questions, tant pour l’employeur que pour l’employé. Au-delà des questions de santé, ce sont aussi des enjeux de droits et de responsabilités qui font surface, notamment dans l’attente de la visite médicale de reprise. En effet, celle-ci doit avoir lieu au plus tard dans les 8 jours après le retour. Un laps de temps délicat, durant lequel le contrat de travail est suspendu. Alors, comment l’employeur peut-il gérer cette transition ? Peut-il sanctionner durant cette période un peu floue ? Quels sont les pouvoirs disciplinaires dont il dispose ? Faisons le point sur les marges de manœuvre de l’employeur en attendant la visite de reprise.
Reprise du travail après un arrêt maladie : la visite médicale obligatoire
La visite médicale : de quoi s’agit-il ?
En France, la gestion sociale et paie suscite de nombreux doutes chez les chefs d’entreprise. Quand un salarié rentre d’une période de maladie d’au moins 30 jours, la visite médicale de reprise s’impose. Elle permet de garantir que le salarié est apte à reprendre son poste. Il ne faut donc pas la voir comme une contrainte, mais plutôt comme une mesure de sécurité. La visite médicale de reprise est réalisée par le médecin du travail qui pourra évaluer l’état de l’employé, les éventuelles restrictions ou adaptations nécessaires.
Le hic est que cette visite ne s’effectue pas automatiquement dès le retour du salarié. Elle est prévue dans les 8 jours qui suivent la reprise et implique par conséquent une zone un peu floue, dirons-nous.
Une étape obligatoire ?
La visite médicale n’est pas systématique. Depuis le 31 mars 2022, tout salarié doit passer une visite médicale de reprise si :
- il revient d’un congé maternité ;
- il était en arrêt de travail pour maladie professionnelle (quelle que soit sa durée) ;
- il était en arrêt maladie ayant entraîné une absence de 30 jours au moins et ayant débuté avant le 1er avril 2022 ;
- il était en arrêt de travail pendant au moins 60 jours pour maladie ou accident non professionnel ;
- il a subi un accident du travail ayant entraîné un arrêt de 30 jours au moins.
Dans ces différentes situations, la visite de reprise est obligatoire. Depuis le 1er avril 2022, il est aussi possible de bénéficier d’une visite médicale de préreprise, en cas d’absence supérieure à 30 jours, dès que le retour du salarié est anticipé.
Reprise du travail après un arrêt maladie : Délai et conséquences de la visite médicale
La visite médicale de reprise doit avoir lieu dans les 8 jours calendaires suivant la reprise du salarié, au plus tard. Dès que l’employeur connaît la date de fin d’arrêt, il doit contacter le SPCT (service de prévention et de santé au travail) pour planifier cette fameuse visite. Entre le retour du salarié et la date de sa visite, celui-ci peut bien entendu travailler en entreprise, mais son contrat de travail est suspendu, au même titre que durant l’arrêt. Seule la visite médicale met fin à cette suspension du contrat de travail. Alors, en cas de faute ou de souci avec le salarié, de quelles marges de manœuvre dispose l’employeur durant cette étape de transition ? Peut-il user de son pouvoir disciplinaire ?
Pouvoir disciplinaire de l’employeur : rappel
À ce sujet, en quoi consiste le pouvoir disciplinaire de l’employeur ? Il s’agit d’un droit qui lui revient, droit de sanctionner un salarié qui ne respecte pas les règles de l’entreprise. Cela peut inclure des mises à pied, des avertissements, des blâmes, des rétrogradations, des mutations, mais aussi des licenciements pour fautes. Ce pouvoir doit être exercé dans le respect du cadre légal, mais aussi dans celui des droits du salarié. En d’autres termes, la sanction disciplinaire doit être proportionnée à la faute commise et l’employeur ne peut pas sanctionner deux fois la même faute. Mais alors, peut-il sanctionner une faute durant la période de transition entre le retour du salarié de l’arrêt maladie et le jour de la visite de contrôle ? Un arrêt du 16 octobre 2024 lève le voile sur cette interrogation.
Reprise du travail après un arrêt maladie : un contrat suspendu, mais des obligations maintenues pour le salarié
Les faits
Dans cette affaire, une salariée employée en tant que directrice dans un magasin de prêt-à-porter était de retour sur son lieu de travail après un arrêt de travail de plus de quatre mois. La date de visite médicale était fixée, le contrat de travail était donc logiquement toujours suspendu le jour de son retour en magasin.
Dès son retour, cette employée adopte un comportement anxiogène pour ses collaborateurs. Changement de planning de dernière minute, management directif, méthodes déstabilisantes… Elle fait de nouveau appel à des méthodes toxiques (déjà signalées par le passé par ses collaborateurs). L’employeur décide donc d’agir. Il notifie une mise à pied à cette employée, à titre conservatoire, et la convoque à un entretien préalable. Elle sera licenciée pour faute grave quelques jours plus tard, soit le 26 septembre 2017, licenciement qu’elle contestera en justice.
Le rôle de la visite de reprise dans le pouvoir disciplinaire
Alors, l’employeur pouvait-il agir de la sorte, la visite médicale n’étant pas encore passée ? Non, selon la cour d’appel. Celle-ci retient que la visite obligatoire n’avait pas été réalisée et que la procédure de licenciement et de mise à pied à titre conservatoire n’y faisait pas obstacle. Par conséquent, le contrat étant toujours suspendu, la cour d’appel déclare le licenciement pour faute grave sans cause réelle et sérieuse. Avant la visite de reprise, le salarié est techniquement toujours sous le coup de son arrêt maladie. Cela signifie qu’il n’est pas considéré, juridiquement, comme ayant pleinement repris son poste. Pour la cour d’appel, l’absence de visite médicale empêche l’employeur de décider un licenciement disciplinaire. Mais, la Cour de cassation n’est pas de cet avis.
Absence d’immunité disciplinaire pour le salarié, sous réserve que la visite médicale soit prévue
Reprise du travail après un arrêt maladie : la validité du licenciement…
Dans un arrêt du 16 octobre 2024, la Cour de cassation rappelle les règles applicables dans ce type de situation et censure la décision de la cour d’appel. Elle rappelle que le salarié qui reprend son poste après une période d’arrêt de travail voit en effet son contrat suspendu jusqu’à la date effective de la visite médicale. Mais, cela ne signifie pas qu’il bénéficie d’une totale impunité durant cette période. Si le salarié adopte un comportement abusif, comme ce fut le cas dans l’affaire citée, l’employeur est en droit d’intervenir. Le salarié est donc durant la période transitoire entre son retour et la visite médicale soumis au pouvoir disciplinaire de l’employeur.
Cette position de la Cour est en continuité avec des arrêts précédents, affirmant que le salarié est toujours soumis aux règles de l’entreprise dès lors qu’il reprend physiquement son poste. (Cass. soc. 16 novembre 2005, n° 03-45000, BC V n° 323 ; Cass. soc. 17 octobre 2012, n° 11-22287 D). Le salarié n’est pas exempt de toute responsabilité durant cette période. “Il doit en effet se conformer aux règles de l’entreprise et adopter un comportement professionnel en attendant la visite médicale, explique Élisabeth Albuquerque, fondatrice et gérante du cabinet d’expertise comptable Osmose®. Bien qu’il soit techniquement en arrêt, son retour physique dans l’entreprise implique un devoir de bonne conduite.”
… sous réserve que la visite médicale soit prévue
Attention toutefois à veiller à bien organiser la visite de reprise au retour du salarié. La Cour de cassation précise une exception : si l’employeur ne respecte pas son obligation d’organiser la visite de reprise, il est alors limité dans son pouvoir disciplinaire. En effet, si l’employeur manque à cette obligation, la situation est différente. L’usage de son pouvoir disciplinaire est alors restreint et en cas de faute de l’employeur sur ce point, celui-ci peut uniquement reprocher au salarié des manquements à l’obligation de loyauté, mais ne pourra pas aller jusqu’au licenciement pour faute grave.(Cass. soc. 6 mars 2017, n° 15-27577 D ; Cass. soc. 16 octobre 2019, n° 18-19893 D).
Bien que le contrat de travail soit juridiquement suspendu avant la visite de reprise, le salarié reste sous le contrôle disciplinaire de l’employeur. Toutefois, cette latitude disciplinaire ne s’applique que si l’employeur a correctement respecté son devoir d’organiser cette visite. Cela rappelle l’importance pour l’employeur d’accomplir ses obligations en termes de prévention et de suivi de santé au travail, sous peine de voir sa capacité disciplinaire réduite. Vous avez besoin d’aide pour la gestion sociale et paie de votre entreprise ? Faites appel à Osmose®.