La question de la preuve des heures de travail effectuées par les salariés est un enjeu majeur dans les relations de travail et la gestion sociale et paie en entreprise. Les évolutions récentes de la jurisprudence française ont-elles accordé plus de souplesse aux employeurs ? Sont-ils encore tenus de présenter un système objectif, fiable et accessible en cas de litige ? Spécialiste de la gestion sociale et paie en Essonne, Osmose® vous répond grâce à ce cas pratique.
Un système de preuves partagées
Le cadre juridique
Le régime dérogatoire en matière de preuve des heures de travail effectuées repose sur l’article L 3171-4 du Code du travail. Ce dernier établit un système de preuve partagé entre l’employeur et le salarié. En cas de litige concernant l’existence ou le nombre d’heures de travail accomplies, le juge décide si des heures supplémentaires ont été effectuées en se basant sur les éléments fournis par les deux parties.
À noter : Ce système de preuves partagées diffère de celui des congés payés non pris où c’est l’employeur qui doit prouver que le salarié était en mesure de les prendre.
Égalité entre employeur et salarié
Ce dispositif de preuve dérogatoire des règles de droit commun, vise à rétablir une certaine équité entre employeur et salarié. L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 mai 2019 (aff. 55/18) a souligné l’importance pour les États membres d’imposer aux employeurs de mettre en place un système objectif, fiable et accessible pour mesurer la durée du travail quotidien de chaque travailleur, conformément à la directive 2003/88 et à l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Décision de la Cour de cassation
Suite à cet arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation, dans une décision du 18 mars 2020 (n° 18-10.919 FP-PBRI), a précisé qu’en cas de litige, il revient au salarié de présenter des éléments suffisamment précis sur les heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies. Cela permet à l’employeur, chargé du contrôle des heures de travail, d’y répondre en produisant ses propres preuves. Le juge forme alors sa conviction en tenant compte de l’ensemble des éléments soumis, évaluant souverainement les heures supplémentaires éventuelles et fixant les créances salariales correspondantes.
La question se pose donc de savoir si ce système de preuve partagée impose à l’employeur de fournir des éléments de preuve issus d’un système objectif, fiable et accessible. Par un arrêt du 7 février 2024, la Cour de cassation a répondu négativement à cette interrogation, permettant ainsi aux employeurs de recourir à des moyens de preuve moins formels.
Évolution de la jurisprudence en matière de preuve des heures de travail réalisées : cas pratique
Les faits
Une salariée, employée en tant que coiffeuse depuis 2017, a saisi le Conseil de Prud’hommes pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Elle a également réclamé diverses sommes, notamment pour des heures supplémentaires qu’elle prétendait avoir effectuées et pour des contreparties obligatoires en repos. À l’appui de sa demande, la salariée a produit un tableau récapitulatif de ses heures, un décompte hebdomadaire, des relevés quotidiens d’heures, et des témoignages. De son côté, l’employeur a fourni des bulletins de paie, un cahier de relevés d’heures journalier et des témoignages contradictoires.
La décision du Conseil des Prud’hommes et de la Cour d’appel
Les juges du fond, tant au niveau du Conseil des Prud’hommes que de la Cour d’appel, ont estimé que les heures supplémentaires n’avaient pas été accomplies par la salariée et ont rejeté sa demande. Celle-ci a alors porté l’affaire devant la Cour de cassation, reprochant à son employeur de ne pas avoir mis en place un système objectif, fiable et accessible pour mesurer les heures de travail. Les éléments fournis par celui-ci ne provenant pas d’un tel système, ils ne pouvaient pas être pris en considération, selon elle.
La position de la Cour de cassation
La Cour de cassation a rappelé les obligations de l’employeur en matière de contrôle du temps de travail, comme prévues par le Code du travail et le droit de l’Union européenne. Malgré ces obligations, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel et a rejeté les arguments de la salariée. La Cour a déclaré que l’absence de mise en place par l’employeur d’un système de mesure du temps de travail ne le prive pas du droit de présenter des éléments de preuve, même s’ils ne proviennent pas d’un dispositif objectif, fiable et accessible.
Preuve des heures de travail réalisées : plus de souplesse pour l’employeur ? Analyse de la décision
L’employeur peut produire son tableau d’heures à la main
La Cour de cassation a souligné que, pour prouver le temps de travail effectué, l’employeur n’est pas limité aux seuls documents issus des dispositifs de contrôle qu’il est censé avoir mis en place. Tout comme le salarié, il peut apporter divers éléments de preuve, y compris des relevés d’heures manuscrits. Cette décision signifie que l’employeur n’est pas pénalisé pour ne pas avoir respecté ses obligations légales et réglementaires en matière de suivi du temps de travail. La Cour a ainsi confirmé que tout élément de preuve peut être soumis au débat contradictoire, et le juge est libre d’apprécier la valeur et la portée de ces éléments.
Des preuves plus précises du côté des salariés
“On peut dire que cette décision de la Cour de cassation a des implications importantes pour la gestion des litiges concernant les heures de travail, affirme Élisabeth Albuquerque, fondatrice et gérante du cabinet d’expertise comptable Osmose®. Les employeurs disposent désormais d’une plus grande latitude pour fournir des preuves, même s’ils n’ont pas mis en place de système de mesure du temps de travail conforme aux exigences légales.” Les salariés, de leur côté, doivent être conscients que leurs propres preuves devront être suffisamment précises pour contredire les éléments présentés par l’employeur.
La récente jurisprudence de la Cour de cassation, en confirmant que l’employeur n’est pas limité aux seuls documents issus des dispositifs de contrôle du temps de travail, souligne l’importance du principe de liberté de la preuve en matière prud’homale. Cette évolution renforce l’équilibre entre employeur et salarié, tout en reconnaissant la diversité des moyens de preuve disponibles. Ainsi, même en l’absence d’un système objectif et fiable, l’employeur peut présenter des éléments pertinents pour justifier les heures de travail réalisées. Pour être toujours en règle et gagner du temps, Osmose® vous accompagne dans la gestion de votre personnel.