Opportunités et risques liés à l’entrée des fonds d’investissement dans la profession comptable

fond d'investissement

Ah, les fonds d’investissement… Ces acteurs financiers, qu’on imaginait autrefois cantonnés aux startups technologiques ou aux grands groupes industriels, s’invitent désormais à la table des experts-comptables. Le secteur des cabinets comptables français, traditionnellement conservateur, vit une transformation silencieuse mais profonde depuis les années 2010 : sa financiarisation.

Du private equity au capital-risque, les investisseurs semblent avoir compris que nos cabinets ne sont pas juste des centres de coûts obnubilés par des colonnes de chiffres et des liasses fiscales. Cette tendance, loin d’être anecdotique, touche aussi bien les marchés matures comme les États-Unis et le Royaume-Uni que des pays comme la France.

Derrière ce mouvement se cachent des enjeux majeurs : une digitalisation des cabinets comptable, une concurrence qui s’intensifie et des clients dont les attentes évoluent plus vite que nos logiciels comptables.

Avec cet article, je vous propose d’explorer ensemble les impacts – positifs comme négatifs – de cette financiarisation sur notre profession dans son ensemble : audit, expertise comptable, conseil. Cette réflexion me semble cruciale à l’heure où la qualité de nos travaux et notre indépendance sont scrutées par tous, des entreprises aux investisseurs en passant par les pouvoirs publics.

Une tendance mondiale : la financiarisation gagne toute la profession

Observations de l’IFIAR

Le Forum international des régulateurs indépendants de l’audit (IFIAR) – cette instance mondiale qui veille sur la qualité de l’audit – a récemment tiré la sonnette d’alarme. Dans son dernier rapport annuel, l’IFIAR note une montée en puissance du capital-investissement dans les cabinets comptables, exprimant ses inquiétudes sur les risques pesant sur l’indépendance et la qualité des missions, notamment d’audit.

Mais il ne s’agit pas que de mises en garde : le même rapport souligne aussi des perspectives encourageantes, comme l’amélioration des outils technologiques et une professionnalisation accrue, notamment au sein des cabinets de taille moyenne.

Exemples concrets

Aux États-Unis, cette tendance est bien installée. Grant Thornton s’est associé à des fonds pour financer son expansion, notamment numérique. Baker Tilly a levé des fonds auprès de Hellman & Friedman en 2021 pour renforcer sa présence nationale. Ce sont surtout les cabinets intermédiaires, juste en-dessous des Big Four, qui séduisent ces investisseurs.

En France, le mouvement prend de l’ampleur. Dougs, cabinet comptable en ligne, a levé 25 millions d’euros en 2022 auprès d’Expedition Growth Capital pour accélérer sa transformation digitale et affiner son offre. D’autres acteurs hybrides comme Pennylane mêlent expertise comptable traditionnelle et plateformes logicielles avancées.

Cette vague touche également le Royaume-Uni, avec des alliances financières chez Kreston Global, et l’Asie, où des cabinets locaux croissent grâce à des capitaux internationaux.

Opportunités offertes par la financiarisation

Accès à des ressources accrues

L’un des grands atouts de ces investissements, c’est l’accès à des moyens financiers conséquents. Ces capitaux permettent une modernisation technologique que beaucoup de cabinets – comptables, auditeurs, conseillers – ne pourraient pas financer seuls.

Ils facilitent aussi le recrutement et la formation de profils pointus – data analysts, experts en cybersécurité – dans un marché en tension. Lors du dernier congrès de l’Ordre, les cabinets soutenus par des investisseurs mettaient clairement cet avantage en avant.

Enfin, ces ressources ouvrent la voie à des acquisitions stratégiques. Un cabinet parisien a ainsi racheté trois structures spécialisées en deux ans, renforçant son expertise dans des secteurs ciblés comme l’hôtellerie ou la santé.

Expansion et compétitivité

La financiarisation permet aussi de diversifier les services : du conseil stratégique, de la RSE, de la gestion patrimoniale… Cette montée en gamme est stratégique pour se différencier et fidéliser une clientèle de plus en plus exigeante.

Elle renforce les réseaux transnationaux, clés pour rivaliser avec les Big Four. Des alliances comme Kreston ou BDO gagnent en puissance grâce à ces capitaux, offrant un accompagnement global cohérent.

Enfin, cette manne financière permet une réactivité accrue face aux évolutions réglementaires. Les cabinets bien dotés adaptent plus vite leurs outils, leurs offres et leurs équipes.

Risques et préoccupations associés

Pressions sur la rentabilité

Mais il y a un revers. Les fonds d’investissement recherchent un retour sur capital élevé, souvent à court terme. Cette pression peut déformer les priorités, au détriment de la qualité des missions.

Les scandales du passé – Enron, Wirecard – rappellent les risques d’un pilotage trop financier des cabinets, notamment sur les missions d’audit.

Conflits d’intérêts potentiels

Un fonds qui investit à la fois dans un cabinet et dans ses clients ? Le conflit d’intérêts n’est pas théorique. Il fragilise la perception – voire la réalité – de l’indépendance.

Érosion de l’indépendance professionnelle

Que ce soit en expertise comptable ou en audit, l’indépendance est le socle de la confiance. Si les choix stratégiques d’un cabinet sont dictés par des logiques financières externes, c’est l’ensemble de la mission d’intérêt public qui s’en trouve affaiblie.

Même si l’indépendance est préservée dans les faits, la simple suspicion suffit à altérer la confiance des entreprises, de l’administration ou des marchés.

Réactions des régulateurs et de la profession

Surveillance accrue

Les régulateurs ne restent pas inactifs. L’IFIAR a renforcé ses recommandations. Aux États-Unis, la PCAOB surveille de près l’évolution des liens entre capital-investissement et cabinets. En France, la question est également suivie dans les milieux professionnels et réglementaires.

Des garde-fous sont en réflexion : seuils de participation, transparence renforcée, règles spécifiques à l’actionnariat des structures d’audit ou d’expertise.

Adaptation des cabinets

Les cabinets aussi réagissent. Certains séparent clairement leurs activités de conseil et d’audit. D’autres créent des comités d’indépendance ou adoptent des chartes de gouvernance plus strictes.

Des groupes comme Mazars ou EY expérimentent de nouveaux modèles pour intégrer les capitaux tout en préservant les fondements de la profession.

Conclusion

La financiarisation de la profession comptable, dans toutes ses dimensions (audit, expertise, conseil), soulève des questions essentielles. Elle offre des leviers puissants de transformation, mais impose aussi une vigilance accrue sur la gouvernance, l’indépendance et la mission de service public qui nous définit.

L’avenir du secteur passera par un équilibre entre innovation, performance économique et exigence éthique. Et si nous savons jongler entre bilan comptable, obligations fiscales et normes internationales, il ne fait aucun doute que nous pouvons aussi piloter cette transformation avec discernement – et rigueur.

Après tout, ce sont les équilibres qu’on maîtrise le mieux.

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