Article mis à jour le 20 mars 2025
L’Économie Sociale et Solidaire (ESS) représente aujourd’hui environ 10% du PIB français et emploie plus de 2,6 millions de salariés, selon les données de l’Observatoire de l’ESS en 2024. Ce secteur, loin d’être une simple niche économique, s’impose comme un acteur majeur de notre paysage économique.
Pourquoi les experts-comptables devraient-ils s’y intéresser ? Non, ce n’est pas seulement pour donner une image plus sympathique à notre profession mais tout simplement parce que nous sommes face à un secteur en pleine expansion, avec des besoins spécifiques en matière de gestion comptable et financière. Les structures de l’ESS, qu’il s’agisse d’associations, de coopératives ou de fondations, nécessitent un accompagnement adapté à leurs particularités juridiques, fiscales et comptables.
Mais, au-delà de leurs besoins croissants, c’est en étudiant leur modèle économique alliant performance et partage équitable des bénéfices, que j’ai été convaincue que nous, experts-comptables, avons un rôle clé à jouer dans le développement de ces structures portant des valeurs d’avenir. Et puis, avouons-le, c’est quand même plus gratifiant de dire en soirée qu’on aide des entreprises à changer le monde plutôt que d’expliquer pour la énième fois les subtilités de la TVA déductible !
Comprendre l’Économie Sociale et Solidaire (ESS)
1. Définition et principes fondamentaux
L’ESS se structure autour de trois grands principes qui la distinguent de l’économie traditionnelle :
L’utilité sociale : Les structures de l’ESS poursuivent un objectif qui dépasse la simple recherche du profit. Elles visent à apporter des réponses aux besoins sociaux mal satisfaits, à lutter contre les exclusions et les inégalités, ou encore à contribuer au développement durable.
La gouvernance démocratique : « Une personne, une voix » – ce principe fondamental garantit que les décisions sont prises collectivement, indépendamment de l’apport en capital. Il s’agit d’un fonctionnement radicalement différent des entreprises classiques où le pouvoir est proportionnel au capital détenu.
La primauté de l’humain sur le capital : Les bénéfices sont majoritairement réinvestis dans l’activité et le développement de la structure, avec une lucrativité limitée. Les réserves accumulées sont généralement impartageables.
Les structures concernées
Le périmètre de l’ESS englobe une diversité de structures :
Les associations : Elles représentent environ 80% des structures de l’ESS et couvrent des domaines aussi variés que l’action sociale, la culture, le sport ou l’éducation populaire.
Les coopératives : Qu’il s’agisse de SCOP (Sociétés Coopératives et Participatives) ou de SCIC (Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif), ces entreprises sont détenues par leurs salariés ou leurs usagers et fonctionnent selon le principe démocratique.
Les mutuelles : Elles opèrent principalement dans les secteurs de l’assurance et de la santé, avec un fonctionnement sans actionnaire et une gouvernance élue par les adhérents.
Les fondations : Elles affectent de manière irrévocable des biens à une cause d’intérêt général.
Les entreprises solidaires d’utilité sociale (ESUS) : Ce statut, créé par la loi de 2014, permet à des entreprises commerciales de rejoindre le champ de l’ESS sous certaines conditions strictes liées à leur utilité sociale et à leur mode de gestion.
Cadre juridique de l’ESS
La loi du 31 juillet 2014 a constitué une avancée majeure en reconnaissant officiellement l’ESS et en fixant son cadre légal. Cette loi a notamment créé l’agrément ESUS, mis en place des financements dédiés et institué un droit d’information préalable des salariés en cas de cession d’entreprise.
Depuis, plusieurs évolutions sont venues enrichir ce cadre :
- La loi PACTE de 2019 a facilité la transformation d’entreprises classiques en sociétés à mission, un statut proche de l’esprit de l’ESS.
- Les mesures de soutien post-COVID et les nouvelles politiques de transition écologique ont placé l’ESS au cœur des priorités gouvernementales, avec des financements renforcés pour les projets à impact environnemental et social.
- Le plan de relance 2020-2022 a prévu une enveloppe de 1,3 milliard d’euros spécifiquement dédiée au développement de l’ESS, complétée par de nouvelles mesures en 2023-2024 visant à soutenir l’innovation sociale et l’investissement à impact.
Les spécificités comptables et fiscales des structures de l’ESS
1. Obligations comptables spécifiques
Les structures de l’ESS sont soumises à des exigences particulières en matière de transparence financière :
Le plan comptable associatif (règlement ANC n°2018-06) impose des spécificités pour la comptabilisation des contributions volontaires en nature, des fonds dédiés ou encore des legs.
Le suivi des subventions et des dons nécessite une rigueur particulière, avec l’obligation de distinguer les fonds selon leur origine et leur destination. J’ai souvent constaté que c’est sur ce point précis que les associations rencontrent le plus de difficultés !
La valorisation du bénévolat, bien que facultative, est fortement recommandée pour donner une image fidèle de l’activité réelle de la structure.
L’annexe comptable doit contenir des informations spécifiques, notamment sur la nature et l’importance des ressources de générosité du public.
2. Régimes fiscaux spécifiques
La fiscalité des structures de l’ESS présente de nombreuses particularités :
Les exonérations d’impôts commerciaux (TVA, IS, CFE) pour les organismes dont la gestion est désintéressée et qui n’entrent pas en concurrence avec le secteur commercial, selon les critères de la doctrine des « 4P » (Produit, Public, Prix, Publicité).
La franchise des impôts commerciaux jusqu’à 72 432 € (montant 2023) pour les activités lucratives accessoires des organismes non lucratifs.
Les dispositifs d’incitation fiscale comme la réduction d’impôt pour les dons (66% pour les particuliers, 60% pour les entreprises dans le cadre du mécénat) ou le dispositif Madelin pour les investissements dans les entreprises solidaires.
Le régime fiscal spécifique des coopératives, avec notamment la déduction des ristournes versées aux associés et la constitution d’une provision pour investissement exonérée d’impôt.
Pourquoi l’ESS représente une opportunité pour les experts-comptables
1. Un marché en forte croissance
Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- L’ESS a créé plus de 80 000 emplois nets entre 2010 et 2023, confirmant son rôle de moteur économique face aux défis sociaux et environnementaux.
- On dénombre plus de 200 000 structures relevant de l’ESS en France.
- Le secteur connaît une croissance annuelle moyenne de 5%, supérieure à celle de l’économie traditionnelle.
Cette dynamique s’accompagne d’un besoin croissant en expertise comptable et financière. Les structures de l’ESS, souvent dirigées par des personnes passionnées par leur projet social mais pas nécessairement formées à la gestion, ont besoin d’un accompagnement solide.
2. Missions à forte valeur ajoutée pour les cabinets comptables
Au-delà de la simple tenue comptable, les structures de l’ESS offrent aux experts-comptables l’opportunité de développer des missions à forte valeur ajoutée :
Le conseil en gestion et pilotage : Élaboration de tableaux de bord adaptés aux spécificités de l’ESS, intégrant des indicateurs d’impact social.
L’optimisation fiscale : Sécurisation du régime fiscal, structuration juridique adaptée, mise en place de stratégies de collecte de fonds optimisées.
L’audit et la certification des comptes : Obligatoires pour les associations recevant plus de 153 000 € de subventions publiques ou pour les coopératives dépassant certains seuils.
L’accompagnement à la recherche de financements : Montage de dossiers de subventions, accès aux financements solidaires, crowdfunding.
Attirer et fidéliser les talents grâce à l’ESS
1. Un secteur en adéquation avec les aspirations des jeunes professionnels
Ne nous voilons pas la face : notre profession fait face à des défis majeurs en matière de recrutement et de fidélisation des talents. Les jeunes générations recherchent davantage de sens dans leur travail et sont attirées par des missions alignées avec leurs valeurs.
Développer une expertise dans l’ESS permet aux cabinets de :
- Répondre à cette quête de sens en proposant des missions à impact social positif
- Afficher un engagement sociétal cohérent avec les valeurs de l’ESS
- Se différencier sur un marché du recrutement particulièrement tendu
Un cabinet qui accompagne des structures de l’ESS et qui intègre lui-même certains principes de l’économie sociale et solidaire (gouvernance participative, politique RSE ambitieuse) sera naturellement plus attractif pour les jeunes talents.
2. Diversification des missions et montée en compétence
L’accompagnement des structures de l’ESS nécessite des compétences spécifiques :
- Maîtrise du cadre juridique et fiscal propre à l’ESS
- Connaissance des dispositifs de financement dédiés
- Compréhension des enjeux de gouvernance démocratique
Cette spécialisation représente une opportunité de formation et de montée en compétence pour les collaborateurs. Elle permet également de diversifier les missions du cabinet et d’éviter la routine, facteur important de fidélisation des équipes.
Pièges à éviter et meilleures pratiques
J’ai identifié quelques erreurs fréquentes :
Erreurs courantes :
- Application erronée des exonérations fiscales : Nombreuses sont les associations qui considèrent à tort que leur statut leur garantit automatiquement une exonération d’impôts commerciaux.
- Confusion entre les différents types de fonds propres : Dans les structures de l’ESS, la distinction entre réserves, fonds associatifs, fonds dédiés est souvent mal maîtrisée.
- Sous-estimation des obligations de transparence : Particulièrement pour les structures faisant appel à la générosité du public.
- Gouvernance inadaptée : Des structures qui adoptent les formes juridiques de l’ESS sans en appliquer réellement les principes de gouvernance démocratique.
Bonnes pratiques :
- Réaliser un diagnostic fiscal régulier pour sécuriser le régime d’imposition
- Mettre en place une comptabilité analytique adaptée aux spécificités de la structure
- Former les dirigeants bénévoles aux bases de la gestion financière
- Anticiper les obligations liées aux seuils (commissariat aux comptes, fiscalisation…)
- Impliquer l’expert-comptable en amont des projets structurants
L’enjeu pour les cabinets
L’Économie Sociale et Solidaire représente bien plus qu’un simple marché potentiel pour les cabinets d’expertise comptable : c’est une opportunité de redonner du sens à notre profession tout en développant notre activité.
Les avantages pour les cabinets sont multiples :
- Un secteur en croissance avec des besoins spécifiques en expertise comptable et financière
- Des missions diversifiées et à forte valeur ajoutée
- Un positionnement différenciant sur un marché concurrentiel
- Un argument de poids pour attirer et fidéliser les talents
- La satisfaction de contribuer à des projets porteurs de sens et d’impact social positif
Les perspectives d’avenir sont prometteuses. La crise sanitaire et économique a mis en lumière la résilience des modèles de l’ESS et accéléré la prise de conscience sur la nécessité de repenser notre économie. Les pouvoirs publics multiplient les dispositifs de soutien à ce secteur, créant un contexte favorable à son développement.
Pour les cabinets d’expertise comptable, l’enjeu est désormais de développer une véritable expertise dans ce domaine et de l’intégrer pleinement dans leur stratégie de développement. Ceux qui sauront saisir cette opportunité seront non seulement des acteurs économiques performants, mais aussi des contributeurs à l’émergence d’une économie plus inclusive et durable.
La comptabilité n’est pas qu’une affaire de chiffres, c’est aussi une question de valeurs. L’ESS nous offre l’occasion parfaite de mettre cette philosophie en pratique.