La garantie légale de conformité à l’ère du numérique : ce que vous devez vraiment savoir

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Article modifié le 21 mars 2025

Vers une protection numérique renforcée

Dans un monde où nous passons plus de temps sur nos écrans qu’avec nos proches (oui, j’exagère… à peine), la protection de nos droits numériques est devenue un enjeu majeur. Applications, logiciels, services de streaming, objets connectés… Notre quotidien déborde de produits numériques dont nous dépendons de plus en plus.

Face à cette numérisation galopante, le cadre juridique traditionnel montrait ses limites. Conçu pour des biens physiques, il laissait consommateurs et professionnels dans un flou juridique inconfortable dès qu’il s’agissait de contenus dématérialisés. Combien de fois ai-je vu des clients démunis face à un logiciel défectueux ou un service en ligne ne respectant pas ses promesses !

L’ambition du législateur européen, puis français, a été claire : restaurer l’équilibre entre professionnels et consommateurs dans l’univers numérique. Une nécessité quand on sait que le rapport de force est souvent déséquilibré face aux géants du numérique ou aux conditions générales interminables que personne ne lit vraiment.

D’où vient cette réforme ? Le cadre juridique européen et français

Comme souvent en matière de droit de la consommation, c’est l’Europe qui a donné l’impulsion. Deux directives adoptées en 2019 ont posé les bases d’une nouvelle garantie légale adaptée à l’ère numérique :

  • La directive (UE) 2019/770 relative aux contrats de fourniture de contenus et services numériques
  • La directive (UE) 2019/771 concernant les contrats de vente de biens, incluant les aspects numériques

Ces textes avaient un objectif ambitieux : harmoniser la protection des consommateurs dans tous les États membres, tout en tenant compte des spécificités des produits numériques.

La France a transposé ces directives par l’ordonnance du 29 septembre 2021, complétée par un décret du 29 juin 2022. Ces textes ont profondément modifié le Code de la consommation, notamment ses articles L224-25-1 à L224-25-31 qui créent un régime spécifique pour les contenus et services numériques.

Le changement fondamental ? Les contrats numériques bénéficient désormais d’une protection juridique claire et adaptée, distincte de celle des biens matériels classiques. Un véritable changement de paradigme qui reconnaît enfin la place centrale du numérique dans notre économie.

Ce que couvre désormais la garantie légale de conformité

La garantie légale de conformité s’applique désormais à un large éventail de produits numériques :

Les contenus numériques : logiciels, applications, jeux vidéo, fichiers musicaux ou vidéos, livres électroniques…

Les services numériques : services de streaming (Netflix, Spotify…), stockage cloud, réseaux sociaux, services de messagerie, outils en ligne…

Les biens numériques hybrides : produits physiques intégrant des éléments numériques essentiels à leur fonctionnement, comme les montres connectées, les thermostats intelligents, les téléviseurs smart TV ou encore les consoles de jeux.

Pour comprendre cette garantie, trois notions clés sont à retenir :

  • La compatibilité : la capacité du produit à fonctionner avec un matériel ou logiciel standard, sans nécessiter de modification.
  • L’interopérabilité : sa capacité à fonctionner avec d’autres produits ou services.
  • La durabilité : sa capacité à maintenir ses fonctions et performances dans le temps.

Un exemple concret ? Un nouvel aspirateur robot connecté doit non seulement aspirer correctement (fonction matérielle), mais aussi se connecter à votre smartphone via son application dédiée et continuer à fonctionner même après les mises à jour du système d’exploitation de votre téléphone (fonctions numériques).

Comment fonctionne cette garantie concrètement ?

La durée de la garantie légale est fixée à 2 ans à compter de la fourniture du contenu ou service numérique. Mais attention, particularité du numérique : pour les fournitures continues (abonnements…), la garantie s’applique pendant toute la durée du contrat.

Plus intéressant encore : pour les biens comportant des éléments numériques, la garantie court pendant toute la période où les mises à jour sont fournies ou, au minimum, pendant 2 ans. Une disposition qui prend tout son sens à l’heure où nos appareils dépendent de mises à jour régulières pour fonctionner correctement.

En cas de défaut, le consommateur dispose de plusieurs recours :

  1. La mise en conformité (correction du défaut via une mise à jour ou réparation)
  2. Le remplacement du contenu ou service numérique
  3. La réduction du prix proportionnelle au défaut constaté
  4. La résolution du contrat (remboursement) en cas de défaut majeur

Le professionnel dispose généralement d’un délai de 30 jours pour remédier au problème, sauf circonstances particulières. Au-delà, le consommateur peut demander une réduction de prix ou la résolution du contrat.

Concernant la charge de la preuve, c’est un point crucial : pendant deux ans (contre six mois auparavant), le défaut est présumé avoir existé au moment de la fourniture. C’est donc au professionnel de prouver le contraire, et non plus au consommateur de prouver l’existence du défaut d’origine.

Nouveautés importantes : des consommateurs mieux protégés

L’une des avancées majeures de cette réforme concerne les contrats où le consommateur ne paie pas avec de l’argent, mais avec ses données personnelles. Oui, vous avez bien lu ! La gratuité apparente de nombreux services numériques masque souvent un modèle économique basé sur la collecte et l’exploitation des données.

Désormais, ces contrats « payés en données » bénéficient de la même protection que les contrats classiques. Une reconnaissance légale bienvenue du fameux adage : « Si c’est gratuit, c’est vous le produit ».

Autre nouveauté : l’extension de la garantie aux « non-professionnels », c’est-à-dire les personnes morales qui agissent à des fins non professionnelles, comme les associations. Une avancée qui profite à de nombreuses structures qui utilisent des outils numériques sans disposer de l’expertise nécessaire pour se défendre en cas de litige.

Enfin, depuis le 1er octobre 2022, les professionnels ont l’obligation de mentionner explicitement l’existence et les modalités de cette garantie dans leurs conditions générales de vente. Une mesure qui vise à mieux informer les consommateurs de leurs droits.

Quels impacts pour les professionnels ?

Pour les entreprises, cette réforme implique une mise en conformité significative :

Mise à jour des CGV : intégration des mentions obligatoires sur la garantie légale, clarification des engagements en matière de mises à jour, précision sur la durée de la garantie…

Adaptation des processus techniques : mise en place de procédures pour assurer la conformité des produits, planification des mises à jour, tests de compatibilité… Il est important de noter que ces mises à jour doivent inclure non seulement les correctifs de sécurité, mais aussi les mises à jour fonctionnelles nécessaires au bon usage du produit. En revanche, les mises à jour purement esthétiques ou marketing ne sont pas couvertes par cette obligation.

Organisation d’une veille juridique : le droit du numérique évolue rapidement, et les professionnels doivent rester informés des nouvelles obligations. Cette veille ne se limite pas aux textes européens : elle englobe aussi des obligations nationales, comme la production d’attestations sociales ou fiscales. À ce sujet, découvrez comment obtenir une attestation de vigilance et pourquoi elle est indispensable.

Les risques en cas de non-conformité sont doubles :

  • Risque juridique : sanctions pouvant aller jusqu’à 300 000 € d’amende pour les personnes morales (art. L241-1-1 du Code de la consommation)
  • Risque réputationnel : impact négatif sur l’image de marque, perte de confiance des clients

Dans mon cabinet, j’ai vu plusieurs cas d’entreprises contraintes de repenser entièrement leur offre numérique pour se conformer à ces nouvelles exigences. Un exercice parfois coûteux, mais qui s’est souvent révélé bénéfique à long terme en termes de qualité de service et de satisfaction client.

Exemples concrets & cas pratiques

Cas n°1 : La montre connectée défectueuse

Marie achète une montre connectée haut de gamme. Après six mois, suite à une mise à jour, l’application ne synchronise plus correctement les données de santé avec son smartphone.

Solution : Marie peut invoquer la garantie légale de conformité, car la fonction de synchronisation est essentielle au fonctionnement du produit. Le vendeur doit résoudre le problème par une mise à jour corrective dans les 30 jours, ou proposer un remplacement. La charge de la preuve incombe au vendeur qui devrait démontrer que le défaut est apparu après la vente.

Cas n°2 : Le service de streaming en panne

Paul est abonné à une plateforme de streaming musical. Pendant plusieurs jours, il ne peut plus télécharger de titres pour l’écoute hors ligne, malgré sa formule premium qui inclut cette fonctionnalité.

Solution : Paul peut exiger une mise en conformité du service. Si le problème persiste au-delà d’un délai raisonnable, il peut demander une réduction proportionnelle du prix de son abonnement. Comme il s’agit d’une fourniture continue, la garantie s’applique pendant toute la durée de l’abonnement.

Cas n°3 : Le jeu vidéo instable après une mise à jour

Thomas achète un jeu vidéo dématérialisé pour sa console. Après une mise à jour obligatoire, le jeu devient instable et se bloque régulièrement à certains niveaux, rendant la progression impossible.

Solution : Thomas peut exiger une correction du problème. Si l’éditeur ne résout pas le bug dans un délai de 30 jours, Thomas peut demander le remboursement intégral du jeu, même s’il l’a utilisé pendant plusieurs mois, car le défaut rend le produit impropre à son usage.

Dans ces trois situations, le consommateur doit d’abord contacter le service client du professionnel pour lui signaler le problème et demander l’application de la garantie légale de conformité. En cas de refus ou d’absence de réponse, il peut adresser une mise en demeure par lettre recommandée, puis saisir le médiateur de la consommation compétent ou, en dernier recours, le tribunal.

Les limites et les zones grises du dispositif

Malgré ses avancées, cette réforme comporte encore des zones d’ombre :

La portée internationale : Que se passe-t-il lorsque vous achetez une application à un développeur basé hors de l’UE ? Si le contrat vise explicitement les consommateurs français, le droit français s’applique. Mais l’exécution d’une décision contre un professionnel étranger reste complexe. Et lorsqu’il s’agit de la revente d’un actif numérique ou d’un fonds de commerce impliquant des services dématérialisés ? Là encore, il est essentiel de bien connaître les règles de transmission des obligations. Pour aller plus loin, découvrez les conséquences juridiques lors de la cession d’un fonds de commerce.

Les places de marché : Les plateformes comme l’App Store ou Google Play sont-elles responsables des défauts des applications qu’elles distribuent ? La question n’est pas tranchée définitivement, même si la tendance est à une responsabilisation accrue des intermédiaires.

Les produits « en version bêta » : Ces versions d’essai, explicitement présentées comme incomplètes ou instables, bénéficient d’un régime dérogatoire, à condition que le consommateur en soit clairement informé et y ait expressément consenti.

La notion de « mise à jour nécessaire » : Le professionnel doit fournir les mises à jour nécessaires au maintien de la conformité, mais la définition de ce qui est « nécessaire » reste sujette à interprétation. Une mise à jour purement esthétique est-elle couverte ? Probablement pas.

J’ai souvent constaté dans ma pratique que ces zones grises sont source d’incompréhension et de litiges. Mon conseil ? Documenter précisément vos attentes et les engagements du professionnel lors de l’achat, pour disposer d’éléments concrets en cas de désaccord.

Perspectives d’évolution

L’avenir de la garantie légale de conformité numérique s’annonce riche en développements :

L’intelligence artificielle constitue un défi majeur. Comment garantir la conformité d’un système qui, par nature, évolue en fonction des données qu’il traite ? Le récent AI Act européen apporte des premiers éléments de réponse, en imposant des exigences de transparence et de contrôle humain sur les systèmes d’IA.

L’harmonisation du droit numérique européen se poursuit, avec notamment le Digital Services Act et le Digital Markets Act qui renforcent les obligations des plateformes numériques. Ces textes complètent utilement le dispositif de la garantie légale en encadrant les pratiques des géants du web.

Dans ce contexte mouvant, le rôle des conseillers (experts-comptables, juristes) devient crucial pour accompagner les entreprises. Notre valeur ajoutée ? Traduire ces exigences juridiques en processus opérationnels concrets et anticiper les évolutions à venir.

Je le constate quotidiennement : les entreprises qui considèrent la conformité juridique comme un investissement, et non comme une contrainte, sont celles qui tirent le mieux leur épingle du jeu. Elles transforment ces obligations en opportunités d’amélioration de leurs produits et services.

Et maintenant, à vous de jouer (avec les bonnes règles)

La réforme de la garantie légale de conformité marque un tournant dans la protection des consommateurs à l’ère numérique. Elle comble un vide juridique majeur en reconnaissant la spécificité des contenus et services dématérialisés.

Pour les consommateurs, c’est l’assurance de disposer de recours efficaces face aux défaillances numériques. Pour les professionnels, c’est certes une responsabilité accrue, mais aussi l’opportunité de renforcer la confiance de leurs clients et de se démarquer par la qualité de leurs produits.

Cette réforme change la donne pour tous les acteurs : elle pousse les entreprises à penser « conformité » dès la conception de leurs produits (conformité by design), et elle encourage les consommateurs à faire valoir leurs droits face aux géants du numérique.

Mon dernier conseil, en tant qu’Elisabeth Albuquerque, experte qui a accompagné de nombreuses entreprises dans cette transition ? Que vous soyez professionnel ou consommateur, appropriez-vous ces nouvelles règles.  Professionnels, intégrez-les dans votre stratégie produit et votre communication. Consommateurs, n’hésitez pas à les invoquer en cas de problème.

Car c’est ainsi, par la pratique et l’usage, que le droit devient une réalité concrète et non une simple abstraction juridique. Et dans l’univers numérique en perpétuelle évolution, cette garantie légale constitue un point d’ancrage précieux pour tous.

Et si vous cherchez un accompagnement personnalisé pour mettre en œuvre ces nouvelles obligations ou sécuriser vos offres numériques, le cabinet Osmose est à vos côtés pour vous aider à concilier conformité, stratégie produit et efficacité comptable.

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